Jean-Marc Pedebearn : « Faire évoluer la monoculture du maïs »

Article publié le 21 mars 2019

Expérimentateur pour le projet Syppre, Jean-Marc Pedebearn a fait évoluer depuis longtemps sur son exploitation le système de monoculture du maïs avec labour. La simplification du travail du sol implique de gérer les adventices, et appelle une diversification de la rotation pour obtenir un meilleur bilan agronomique.

« Syppre aide à faire évoluer les mentalités », affirme Jean-Marc Pedebearn, agriculteur et expérimentateur pour le projet Syppre en terres humifères du Béarn. Cet agriculteur est installé depuis 1986 sur une exploitation de 40 hectares à Sendets, non loin de Pau (Pyrénées-Atlantiques), ce qui induit un parcellaire regroupé mais morcelé, une forte pression foncière et une gestion patrimoniale des terres agricoles. Il y consacre la moitié de son temps, car il est également formateur dans un CFA et un CFPPA au lycée agricole de Pau-Montardon où il enseigne l’agronomie, les productions végétales, les itinéraires techniques, les agro-équipements, toutes matières qui le rapprochent de Syppre. Sur ses 40 hectares, 10 sont consacrés à l’expérimentation pour le projet Syppre et pour des prestations d’essais.
Jean-Marc explique : « Nous sommes sur des sols de « touyas », c’est-à-dire d’anciennes landes inexploitées jusque dans les années 1960, acides et hydromorphes, qu’il a fallu chauler et drainer, composées de 20 % d’argile, 60 % de limon et de beaucoup de matière organique. Le climat est océanique et ne justifie pas d’irrigation ». Une terre idéale pour le maïs, qui lui offre un potentiel de rendement de l’ordre de 120 quintaux/ha. « Ici, les gens sont inféodés à la monoculture du maïs », poursuit Jean-Marc. « C’est dans l’habitude, on l’a toujours fait, et ça roule tout seul ». Pas besoin de beaucoup d’équipements sur l’exploitation, le temps de travail est réduit, réparti sur quelques pics au cours de l’année.

Simplification, salissement, diversification …

Mais la monoculture du maïs a mauvaise presse dans l’opinion publique, synonyme de pesticides, irrigation, OGM, etc. D’où l’importance de la démarche adoptée par Jean-Marc Pedebearn depuis 30 ans, et mise en place sur la plateforme Syppre. En effet, Jean-Marc cultive le maïs depuis 25 ans sans labourer, il pratique le semis direct ou tout au mieux un travail superficiel sur 5 cm ou un strip-till. Il complète son équipement de travail du sol par un déchaumeur à disques pour mulcher les couverts. « Mais la simplification des façons culturales entraîne un phénomène de salissement ». Jean-Marc va donc utiliser des programmes de désherbage ordinaires, abordables au plan économique, mais il va surtout pratiquer les couverts végétaux en interculture, avec de l’avoine rude diploïde ou de la féverole. « L’évolution consiste alors à actionner le levier de la rotation ». Jean-Marc a introduit le blé et le colza en plus du maïs et du soja. Sur 30 hectares, il applique en priorité un assolement maïs/soja/blé/colza/maïs et aussi maïs/maïs/soja/blé/colza qui lui procure une meilleure rentabilité avec une sécurité à la clé.

Structure du sol magnifique !

L’agriculteur dresse d’emblée le bilan de son système de culture. « Au plan agronomique, au bout de 20 ans, on obtient une structure du sol magnifique ! Et Syppre va nous donner, entre autres, les moyens de la mesurer. Au plan économique, on ne fait pas mieux qu’en monoculture, même si on produit 10 quintaux de mieux en maïs assolé. Quant à l’organisation de l’exploitation, le système diversifié offre une meilleure répartition du temps de travail tout au long de l’année, mais exige du matériel spécifique et des interventions décalées par rapport à celles de la monoculture ».

Quel est l’impact de la démarche ? Lorsqu’il emmène ses élèves, pour la plupart fils d’agriculteurs en monoculture de maïs, sur la plateforme Syppre, Jean-Marc Pedebearn leur fait parcourir les 8 systèmes innovants. « Ils sont soulagés quand ils reviennent au point de départ sur le système témoin ! », avoue-t-il. Cependant, il constate que ses étudiants, tout comme leurs parents, sont très tranchés dans leurs pratiques : traditionnelle avec la charrue ou bien en rupture avec un respect du sol dans le sens d’une agriculture de conservation. Ils ne sont en tous cas jamais mitigés. Et, par ailleurs, il constate une plus grande évolution vers la diversification dans les secteurs où la monoculture s’avère plus délicate. « La personne intéressée est celle qui est en réflexion, Syppre sert alors à conforter son choix ». Pour Jean-Marc Pedebearn, Syppre est devenu une occupation permanente.

David Vincent:«Un coût de production le plus faible possible»

Article publié le 21 mars 2019

Agriculteur, membre du comité de pilotage de la plateforme Syppre dans le Lauragais, David Vincent a fait évoluer son système de culture avec une rotation diversifiée, des couverts végétaux et du semis direct sous couvert, en visant le coût de production le plus faible possible, et en baissant sa dépendance aux intrants chimiques.

David Vincent s’est installé en 1998 à Alairac (Aude), près de Carcassonne, dans le Lauragais (à la limite entre la zone céréalière et la zone viticole), sur une exploitation familiale qui compte aujourd’hui 220 hectares. Un choix de vie pour celui qui aurait pu faire toute autre chose en région parisienne. « J’ai trouvé une situation agronomique dégradée à mon arrivée, des sols usés », explique David. « L’exploitation était historiquement vouée à la viticulture avant la crise du Phylloxera, mais l’intensification de l’agriculture et les caprices du climat ont appauvri les sols argilo-calcaires, ce qui a entraîné une baisse du taux de matière organique, d’où lessivage, érosion, perte de potentiel agronomique ». Il faut ajouter à cela un climat tiraillé entre océanique et méditerranéen, qui provoque l’échaudage du blé dur au printemps et dont les forts coups de chaleur en été pénalisent le tournesol.

« Au départ, je pratiquais un assolement traditionnel blé dur/tournesol, mais les rendements étaient faibles et la monoculture commençait à atteindre ses limites. J’appliquais déjà les Techniques Culturales Simplifiées mais je me suis remis à réfléchir à mon assolement, pas seulement en fonction des primes PAC mais plutôt sous l’angle agronomie/coût de production ». Du fait du faible potentiel agronomique de ses sols, et des coûts en temps et en matériel, David Vincent veut semer et récolter avec des rendements équivalents, mais avec un coût de production le plus faible possible. « Aujourd’hui, j’ai une rotation diversifiée sur 8 ans pour remplacer le travail mécanique du sol par le travail des racines, je pratique le semis direct et la couverture permanente pour améliorer la fertilité de mes sols ». La succession de ses cultures est « impressionnante »: sorgho / pois protéagineux d’hiver / blé dur / couvert / orge d’hiver / couvert / tournesol / pois protéagineux d’hiver / blé dur / avoine / couvert / féverole d’hiver / colza / blé tendre / orge / couvert.

Deux graminées, deux dicots

Au plan commercial, David Vincent produit toutes les cultures que sa coopérative peut valoriser. Il garde une base importante de blé dur, bien adapté au Lauragais, « une année sur trois derrière un pois protéagineux, ce qui représente une économie de 40 à 50 unités d’azote à l’hectare, pour des taux de protéine de 14 % ». Il réduit le tournesol depuis 5 à 6 ans, car il a plus de mal à le réussir en semis direct. « Je réfléchis sur la levée en semis direct, j’espère avoir trouvé une solution mais il me reste à la valider sur plusieurs campagnes ».

David précise sa stratégie d’assolement face au désherbage : « J’alterne deux dicotylédones puis deux graminées pour mixer les familles de désherbants chimiques. Sur les cultures dicotylédones (tournesol, pois), je vais taper fort sur les graminées adventices car il n’y a pas de résistance ; puis je vais faire deux graminées (céréales) pour traiter le problème des dicots et avoir une pression limitée en monocotylédones dans les céréales. Dans tous les cas, une année entre deux céréales n’est pas suffisante, il en faut minimum deux pour faire baisser la pression des adventices ».

David Vincent détaille également ses techniques de travail du sol. « Pour les cultures de printemps (tournesol, sorgho), je fais du « pré-traçage » ou strip-till superficiel, je travaille sur 7-8 cm la future ligne de semis pour obtenir une terre fine et réchauffée. Je mets en place une stratégie d’esquive de la sécheresse en semant le plus précocement possible. Pour toutes les autres cultures, c’est du semis direct sous couvert ». S’agissant des couverts, David distingue les intercultures longues, qui entrent dans la rotation et pour lesquelles il sème un mélange féverole/phacélie, et les intercultures courtes. Entre le pois et le blé dur, il va semer un mélange sarrasin/luzerne ou sainfoin. « Je vais récolter le sarrasin et je vais tenter de conserver la luzerne pendant deux ans en couverture permanente ». Entre le blé dur et une deuxième céréale, il sèmera cette fois un mélange
moutarde/sarrasin/tournesol. Entre l’orge et la féverole, il implante un sorgho fourrager.

Baisser la dépendance aux intrants chimiques

Quand on veut dresser le bilan de son système de culture, David Vincent a les idées très claires. Point fort : « Je baisse ma dépendance aux intrants chimiques. La meilleure économie, c’est de ne pas avoir besoin de s’en servir ». David a diminué de 20 à 30 % sa consommation d’azote par rapport à il y a 15 ans, mais il constate que l’IFT continue à varier selon les cultures et les années. Point faible : la dépendance au glyphosate, pourtant utilisé à faible dose pour la destruction des couverts. « Même si je pratique une destruction mécanique, je n’atteindrai pas une efficacité de 100 %, sauf à multiplier le nombre de passages. Syppre doit nous apporter des réponses sur ce point précis notamment, mais le temps presse ».

Pour David Vincent, les instituts techniques ont raison de tester avec Syppre des systèmes de culture que les agriculteurs les plus innovants pratiquaient déjà. « Il faut faire bénéficier l’agriculture conventionnelle des apports de l’agriculture de conservation. Celle-ci propose des méthodes nouvelles, mais pas encore appliquées à grande échelle ». Il poursuit : « Beaucoup n’y croient pas. Il suffit de leur dire de venir voir les plateformes, un vrai démonstrateur qui valide la démarche dans les conditions réelles d’une exploitation, mais avec toute la rigueur et la méthodologie des expérimentateurs ». Et de conclure : « Pour le Lauragais, il s’agit de faire des rendements au moins équivalents avec du semis direct sous couvert, c’est-à-dire viser la double performance : productivité et respect de l’environnement ».

Bernard Bouilliard : « Moins d’azote minéral, plus de matière organique »

Article publié le 21 mars 2019

Agriculteur intéressé par la démarche du projet Syppre, Bernard Bouilliard a diversifié son assolement en Champagne crayeuse. Il a abandonné le labour au profit du travail simplifié, et misé sur la fertilisation organique grâce à la méthanisation. Son système est économe en main d’œuvre, en azote minéral et en mécanisation.

Bernard Bouilliard exploite 183 hectares en EARL avec son épouse à Vaucogne, près d’Arcis-sur-Aube (Aube), « en terre de Champagne pouilleuse devenue crayeuse » au fil du temps depuis les années 1950. Il s’installe en 1991 à la veille de la première réforme de la PAC sur des sols superficiels (10 à 15 cm de terre) qui ravinent au premier orage ou qui provoquent un déchaussement des céréales. Très vite, Bernard s’interroge : « Pourquoi continuer à labourer ? » Dans tous les cas, pas derrière pois ou betterave. « J’étais convaincu qu’il ne fallait plus détasser le sol pour ne pas avoir à le retasser ».

Conséquence : il n’a plus de charrue depuis 1995 et il ne pratique jamais plus de travail du sol profond. Il réalise à présent un travail minimum superficiel sur 8 à 10 cm de profondeur, mais régulièrement et en plusieurs passages (déchaumeur à dents ou à disques) si nécessaire. « Je fais partie d’une CUMA, précise Bernard, ce qui facilite l’opération : on a tout le matériel qu’il faut, et on prend celui qui convient le mieux ». Il réalise ensuite un semis simplifié. « On doit cependant apprendre à gérer les adventices », ajoute Bernard. Au fil du temps, il a diversifié son assolement : blé/colza/légumineuses (trèfle violet porte-graine) / pois / féverole / blé / escourgeon / orge de printemps / maïs grain et… quelques hectares de miscanthus.

Méthanisation

Par ailleurs, Bernard Bouilliard a monté un atelier naisseur-engraisseur de 500 truies avec d’autres agriculteurs en 1993. Il épandait déjà du lisier pour améliorer le taux de matière organique du sol. Mais il franchit un pas supplémentaire en 2009 en créant une unité de méthanisation de 250 Kwh qui valorise, outre le lisier, des coproduits de sucrerie et d’industries agro-alimentaires. Aujourd’hui, le digestat lui apporte 80 % d’azote ammoniacal, les unités d’azote sont disponibles à 100 %, les unités de P et K sont assimilables immédiatement, elles provoquent un effet starter sur la plante au printemps. « La méthanisation me fait gérer la fertilisation organique comme la fertilisation minérale », résume Bernard. Il poursuit : « Je ne connais plus le prix des unités P et K depuis plusieurs années ! » Tout au plus, complète-t-il avec un peu d’azote minéral le colza et le blé en végétation. « Avec 25 ans de pratique de la matière organique, mes cultures sont mieux préparées à résister aux stresses hydriques ».

Bernard implante deux types de couvert : des CIPAN destinées à être enfouies et des couverts à vocation énergétique. Radis, moutarde, sorgho, tournesol, phacélie… Il fait des mélanges et recherche l’effet désherbant du couvert, il les soigne. Il capte le maximum de biomasse avec les couverts énergétiques.

Le raisonnement de Bernard Bouilliard se concrétise au plan économique. « Je fais partie d’un groupement d’employeurs, mon exploitation est peu gourmande en main d’œuvre. J’ai convaincu des collègues agriculteurs d’adhérer à la CUMA pour baisser les charges de mécanisation. Je pratique le travail du sol simplifié, je valorise les effluents d’élevage pour ne rien gaspiller. Tout cela me permet d’optimiser les charges, pour maintenir les marges ». Et d’ajouter : « Je suis du genre radin : tout ce qui n’est pas dépensé est autant de gagné ». Tout s’enchaîne : « J’ai pu baisser les densités de semis – 220 grains pour le blé, 270 pour l’escourgeon ou l’orge de printemps. Je n’utilise plus de régulateurs, je fais deux fongicides au maximum sur blé ». Les résultats sont là, avec des rendements qui se situent dans la fourchette haute pour la région.

Grain de folie

Bernard Bouilliard découvre le projet Syppre en côtoyant la plateforme située à Terralab. Il fait partie du réseau « Auto’N » constitué de 7 exploitations de la grande région champenoise qui travaillent pendant 5 ans sur l’autonomie azotée en situation réelle. Il est également adhérent d’un GDA, et il est suivi par ses différentes coopératives Scara, Vivescia, Cristal Union et Tereos. « La démarche de Syppre est intéressante, et j’ai été invité à y adhérer. On a toujours quelque chose à apprendre. Je trouve d’ailleurs qu’on est trop monotone dans nos raisonnements et qu’il nous manque parfois ce petit grain de folie qui fait qu’on peut avoir des idées loufoques. A charge pour un projet comme Syppre de les valider ». Il est prêt à consacrer une petite part de son exploitation pour faire des essais complémentaires.

Thomas Bourgeois : « Se diversifier pour créer de la valeur ajoutée »

Article publié le 21 mars 2019

Agriculteur intéressé par le projet Syppre, Thomas Bourgeois s’est diversifié dans la production de semences pour augmenter la valeur ajoutée sur son exploitation. Il souhaite allonger la rotation avec des cultures de printemps en laissant les couverts végétaux en place le plus longtemps possible.

« Avec Syppre, nous montrons que nous faisons des efforts pour produire plus propre », indique Thomas Bourgeois, à l’issue de sa visite lors de l’inauguration de la plateforme Syppre en limons profonds de Picardie. « J’aime chercher des solutions techniques pour améliorer mon système, tout en restant dans la légalité. Pour l’instant, j’optimise le conventionnel, mais je réfléchis également au bio ». Par-dessus tout, Thomas Bourgeois explique : « J’essaie de me diversifier dans des cultures à plus haute valeur ajoutée ».

Cet agriculteur exploite depuis 2009 deux sites distants de 18 km l’un de l’autre : le premier à Léglantiers, vallonné, localisé près de Saint Just-en-Chaussée ; le second à Tricot, sur un sol plus plat, près de Montdidier. Le tout fait 247 hectares, situé en bordure du plateau picard. Les sols sont très hétérogènes, variant des limons jusqu’aux argiles à silex, mais avec un bon potentiel. Le parcellaire est bien regroupé, puisque la taille des parcelles varie de 8 à 18 hectares sur les deux sites. Un salarié est présent sur l’exploitation qui bénéficie d’un matériel performant puisque Thomas Bourgeois exerce par ailleurs une activité d’entrepreneur de travaux agricoles. Il s’intéresse aux Mesures Agro-Environnementales et Ecologiques, d’autant plus qu’il est chasseur, et pratique les bandes enherbées à Léglantiers qui se situe sur le bassin versant de la ville de Compiègne.

Production de semences

Très vite, Thomas s’est diversifié dans la production de semences. De ce fait vice-président de la FNAMS (Fédération Nationale des Agriculteurs Multiplicateurs de Semences), il fait des semences de légumineuses, céréales, pois d’hiver, lin oléagineux, colza… Le fait que l’irrigation ne soit pas possible sur l’exploitation le prive de produire des semences de légumes ou des plants de pommes de terre, mais il est à l’affût d’autres contrats pour amener encore davantage de valeur ajoutée. A côté de la semence, il produit du blé (50 % de l’assolement), de l’orge de printemps, du maïs et il a repris la betterave cette année (15 hectares). Au total, on dénombre pas moins de 8 cultures différentes sur son exploitation.

Thomas est sensible à la notion de système de culture. « Je maîtrise globalement mon système de culture, mais je sais que je suis dépendant de la volatilité des prix ». Par exemple, le pois d’hiver est plus intéressant que le pois de printemps en production de semences. « Or, je souhaite allonger la rotation avec des cultures de printemps, en maintenant les sols couverts le plus longtemps possible avec un mélange de 5 engrais vert (trèfle violet, facélie, etc.) ». Thomas Bourgeois, qui siège par ailleurs au comité d’orientation d’ARVALIS-Institut du Végétal pour la région des Hauts-de-France, poursuit son raisonnement. « Je tente de détruire ces couverts végétaux le plus tard possible et, d’autre part, de ne plus utiliser la charrue sauf accident de désherbage ». Ce qui peut arriver sur blé avec des résistances de ray-grass et de vulpin. Comment faire sans produits phytosanitaires ? par déchaumage ? par simple action du gel ? Thomas n’a pas réponse à toutes les questions. Dans tous les cas, il utilise les TCS (Techniques Culturales Simplifiées) : semis direct pour les betteraves, semoir Horsch pour les autres cultures.

Faculté d’adaptation

Thomas Bourgeois essaie de pratiquer chez lui ce qui est à l’étude dans le projet Syppre. Dans le même esprit, il participe à l’Agroforum de sa coopérative Agora qui travaille également sur ce thème. « Ce que j’apprécie, c’est la diversité des cultures ». Il estime qu’il y a plein de bonnes choses à mettre en œuvre à tous niveaux pour répondre aux aspirations des consommateurs : semis direct sous couvert de trèfle, modulation des doses, captation de carbone, etc. Thomas aime prendre de la hauteur : « Notre mission première, c’est de produire, en répondant à des cahiers des charges de plus en plus stricts. Nous sommes probablement la profession la plus bridée et, cependant, nous arrivons à produire. Les agriculteurs ont une faculté d’adaptation que beaucoup pourraient nous envier », conclut-il.

Matthieu Jeanneau : « Tout est le fruit d’une réflexion pragmatique »

Article publié le 21 mars 2019

Agriculteur impliqué dès le départ dans la co-conception des systèmes de culture mis en place sur la plateforme Syppre dans le Berry, Matthieu Jeanneau est pragmatique. Son système est en perpétuelle réflexion. Il estime que Syppre pourra l’aider à opérer les transitions nécessaires.

« En résumé, mon système de culture est basé sur des rotations qui comprennent un maximum de céréales à paille, agrémentées par un protéagineux et un oléagineux », déclare Matthieu Jeanneau. Agriculteur depuis 15 ans, Matthieu est installé à Saint-Valentin (Indre), entre Issoudun et Châteauroux, sur une exploitation de 350 hectares divisée en deux zones distantes de 15 km : la moitié sur des argilo-calcaires moyens typiques de la Champagne berrichonne ; l’autre moitié sur des limons plus ou moins argileux hydromorphes drainés. Ces deux zones se complètent bien en termes de conditions pédoclimatiques en hiver et au printemps. Le climat de la région est de type « océanique dégradé », c’est-à-dire comportant des étés secs, des coups de chaleur et une pluviométrie de plus en plus erratique.

Matthieu Jeanneau est membre d’un groupement d’employeurs avec deux autres agriculteurs, ils possèdent du matériel en commun (Cuma, copropriété) pour cultiver au total 1 260 hectares. Il définit précisément les atouts de son exploitation : « une bonne fertilité des sols, un bon niveau de productivité, une bonne maîtrise de la commercialisation, un partage des moyens de production et des expériences, une grande indépendance, une sécurisation aux plans agronomique et économique ». Son assolement est distinct selon les deux zones de l’exploitation : sur les argilo-calcaires, lentille (remplacée partiellement par le tournesol)/blé tendre/colza/blé tendre/orge d’hiver ; sur les limons, pois d’hiver (en réduction, remplacé par du trèfle porte-graine ou un autre protéagineux)/blé dur/blé tendre/colza/blé tendre.

Pas figé dans le marbre

« La rotation est fixée depuis 10 ans, explique Matthieu, mais elle n’est pas figée dans le marbre, je suis en perpétuelle réflexion ». Il insiste : « tout est le fruit d’une réflexion, d’un pragmatisme lié à l’agronomie, à la fertilité des sols, à la matière organique, à la séquestration du carbone ». Chaque culture, chaque variété a une explication sur l’exploitation. Par exemple, la succession blé dur/blé tendre est moins risquée que blé tendre/blé dur car le blé dur derrière un pois bénéficiera de son apport d’azote et il est meilleur précédent pour le blé tendre que l’inverse, etc. Il pratique les couverts en interculture d’une manière la plus systématique possible : radis/phacélie derrière pois, trèfle d’Alexandrie/radis/féverole entre deux pailles, etc.

Matthieu Jeanneau ne se retrouve ni dans une idéologie du passé (« blé/orge/colza sur labour intégral»), ni dans un rêve (« un assolement sur 10 ans » avec des cultures sans débouché économique). Il connaît par ailleurs les points d’amélioration de son système de culture : « développer les cultures de printemps, ce qui n’est pas simple en sols de limons hydromorphes où il est difficile de rentrer au printemps ». Il en précise surtout les points sensibles : « le recours aux produits phytosanitaires, et le glyphosate en particulier ». En effet, Matthieu se pose la question de la faisabilité de couverts d’interculture courte sans destruction chimique. Car le semis direct sécurise la levée des couverts, mais il n’est pas possible si les adventices ne sont pas détruites chimiquement après la récolte.
« Les injonctions contradictoires formulées par des personnes éloignées de la terre à l’égard de notre métier nous amènent à douter sur l’avenir même de nos exploitations. ». Passionné, il poursuit : « Nous devons respecter les volontés du consommateur, mais notre vocation première est de nourrir et pas de fournir une réserve naturelle pour les charançons, cicadelles, pucerons, chardons, coquelicot ou bleuet aussi beau soient-il ! ».

Poser de vraies questions

Et Syppre dans tout cela ? « Le projet fait partie de ce qui se fait de bien, il pose de vraies questions, il y a de vrais enjeux ». Matthieu Jeanneau a suivi le projet dès sa mise en place, il fait partie du réseau des agriculteurs, il se rend fréquemment sur la plateforme, il y emmène des apprentis ou stagiaires et il réalise des essais complémentaires sur son exploitation. « Nous avons besoin de Syppre pour nous aider dans la transition de nos exploitations », affirme Matthieu. « Par exemple, si je mets un tournesol derrière un maïs, le rendement sera faible mais c’est un bon compromis agronomique pour garantir la propreté des cultures qui viennent derrière. Syppre permettra d’appréhender toutes les conséquences de tels choix y compris économiques ».

Mais, il garde un œil critique : « Syppre nous emmène vers des concepts intéressants, quelquefois délicats, en souhaitant qu’il prenne les risques à notre place ». Par exemple, il ne voit pas comment se passer aujourd’hui d’un insecticide sur colza à l’automne. Comment concilier les trois piliers de Syppre (productivité, rentabilité, environnement) ? « Il y a encore des marges de manœuvre, dit Matthieu, mais pas en deçà d’une certaine limite qui mettrait en péril la production et par là même notre vocation… C’est une question de concurrence loyale dans le contexte international ». Il est trop tôt, mais Syppre devrait apporter des réponses d’ici 4 ou 5 ans selon lui.